Fidèle à sa tradition, LITTERall propose dans sa vingtième livraison quelques voix de la littérature de langue allemande méconnues ou oubliées, en particulier celle de Regina Ullmann (1884-1961), une prosatrice suisse, qui, malgré la réédition il y a quelques années de certains de ses récits, reste dans l’ombre en Suisse et en Allemagne. Son écriture forte et sobre refl ète les grands traumatismes du XXe siècle et n’a jusqu’ici, à notre connaissance, jamais encore été traduite en français. Reconnue et admirée par des écrivains aussi différents que Rainer Maria Rilke, Thomas Mann ou Robert Musil, Ullmann est restée une marginale des lettres allemandes, malgré son talent.
Comme elle, Marie Luise Kaschnitz, Franz Fühmann et Stefan Heym nous ont légué une œuvre marquée par les blessures de l’Histoire et la folie meurtrière des idéologies du XXe siècle. Ils ont connu la guerre, l’interdiction de publication, l’exil, l’antisémitisme et leur écriture laisse entendre leurs conflits intérieurs, leurs doutes, leurs prises de conscience, leurs combats.
Après quelques publications, dont un premier roman, à l’aube du Troisième Reich, Marie Luise Kaschnitz (1901-1974) a été peu présente sur la scène littéraire jusqu’à l’immédiat après-guerre, époque à laquelle elle s’est imposée par ses poèmes. Sans doute trop âgée dans un monde qui se voulait neuf, à l’Est comme à l’Ouest, elle fait partie des écrivains emportés par la vague de la tabula rasa et bientôt oubliés.
Rien ne rapproche a priori Franz Fühmann et Stefan Heym dont on a célébré le centenaire cette année et autour de qui nous avons rassemblé quelques textes d’écrivains contemporains. Tout semble opposer l’antifasciste Heym et le jeune homme engagé volontaire dans la Wehrmacht, Fühmann. Tout sauf leur attitude critique envers l’État dans lequel ils avaient cru, la RDA, et dont ils n’ont pas tardé à déceler les manquements, les failles, les
dysfonctionnements et les mensonges. Et la RDA n’a pas hésité à tenter de les bâillonner.
L’essai de Josef Winkler sur la création artistique accompagne ces voix disparues. En plaçant Chaïm Soutine au centre de sa réflexion, il éclaire la situation du créateur, plasticien ou écrivain, déraciné par essence. De la contemplation ou de la lecture des œuvres qu’ils nous lèguent le lecteur ne sort pas indemne, elles dérangent et donnent un coup de « hache dans la mer gelée en nous ».
Nicole Bary
Sommaire
Marie Luise Kaschnitz Les Lupins
traduction par Sophie Deltin
Josef Winkler 'Je ne parle pas aucune langue.' Sur Chaïm Soutine
traduction par Bernard Banoun
Regina Ullmann La Souris
suivi de La Balance
traduction par Sophie Deltin
Franz Fühmann Rêve 1958
suivi de Poste frontière
traduction par Olivier Baisez
Nicole Bary Stefan Heym
Christoph Hein Un Citoyen courageux
traduction par Nicole Bary
Pforte Dietger Toute une vie vouée à la quête de la troisième voie : Stefan Heym
traduction par Françoise Toraille
Entretien Stefan Heym, écrivain rebelle
traduction par Françoise Toraille
COnSEIL ÉDITORIAL
Nicole Bary
Sophie Deltin
Françoise Toraille